«On a dû constater que l'ambition qu’on avait avec le camionnage électrique n'est pas finalement au rendez-vous», a reconnu le président et chef de la direction de la SAQ, Jacques Farcy, lors d’une entrevue récente.
La société d’État était le premier acheteur du camion électrique de classe 8 de Lion Électrique, lorsque le fabricant l’a dévoilé en grande pompe en 2019, soit avant l’entrée en fonction de M. Farcy.
Le véhicule lourd québécois n’a toutefois pas répondu aux attentes de la SAQ. La société l’a retourné au fabricant à deux reprises en 2023 et 2024. Après avoir demandé la protection de ses créanciers au début de l’année, Lion Électrique a choisi de délaisser le créneau des camions électriques pour se concentrer sur les autobus scolaires.
Les revers de Lion ne sont pas la seule raison qui force la SAQ à revoir ses ambitions d’électrification des transports. «Lion, c'était un des aspects, mais il y en avait d'autres», a précisé M. Farcy.
«On pensait que l'industrie du camionnage électrique allait se développer un petit peu plus vite, a-t-il enchaîné. On constate que ce n'est pas le cas.»
Avec l’offre actuelle, les camions électriques ne sont pas adaptés au besoin de la SAQ, qui doit transporter de lourdes charges. «Nos produits sont très lourds (et sont déplacés) à la grandeur du Québec», a expliqué le dirigeant.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) avait aussi misé sur Lion Électrique. Le transporteur ferroviaire avait annoncé en 2020 une commande de 50 camions électriques pour un montant de 20 millions $, «la plus importante commande» de camions pour Lion à l’époque.
Le CN n’a pas voulu répondre si le transporteur avait trouvé une solution de rechange pour électrifier sa flotte.
Des contraintes de coûts et d’autonomie
L’offre de camions électriques pour le transport lourd, comme souhaitait le faire la SAQ, n’est pas abondante, a reconnu la présidente-directrice générale de Propulsion Québec, Michelle LLambías Meunier. «Il y a des manufacturiers comme Volvo et Freightliner qui offrent des camions lourds électriques au Québec. Donc, on pourrait dire que la machine est en marche, mais c'est vrai qu'elle n'est pas très vaste cette offre-là.»
Le transport par camion électrique peut être rentable dans certains contextes, selon un rapport de l’Institut du véhicule innovant publié en 2024 et basé sur des essais réalisés par des entreprises.
Le camion électrique est une option intéressante pour les charges plus légères et les plus courtes distances (200 km par jour), selon les résultats de l’Institut.
Pour la grande majorité des transporteurs, le camion électrique ne répond tout simplement pas à leurs besoins, a constaté le président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), Marc Cadieux, en entrevue. «En ce moment, je peux vous dire qu'il n'y a aucun enthousiasme, aucun.»
Le virage électrique ne serait tout simplement pas rentable pour la plupart des membres de l’industrie. «On va se dire les vraies choses: ça reste une pièce d’équipement qui est deux fois et demie le prix d’un camion conventionnel, a souligné M. Cadieux. Ça frôle les 500 000 $ à 600 000 $.»
Le gouvernement Legault a d’ailleurs mis un frein à l'électrification au Québec en suspendant le programme Écocamionnage en septembre dernier, car tous les fonds avaient été alloués, a déploré M. Cadieux quelques jours avant l’annonce du renouvellement du programme.
Dans son Plan pour une économie verte 2030, dévoilé jeudi, le gouvernement Legault a confirmé qu’il allouerait 415 millions $, sur cinq ans, au programme qui subventionne une partie du coût d’achat d’un camion électrique. Une enveloppe budgétaire de 35 millions $ est prévue pour cette année.
L’achat d’un camion électrique amène d’autres contraintes pour une entreprise, a énuméré M. Cadieux. «C’est une bébite différente à gérer. Ce n’est pas le même mécanicien. Ce n’est pas la même personne à la logistique, car on doit prendre en compte le calcul du poids, le temps qu’il va bouger (l’autonomie de la batterie). Tout ça, c’est du temps humain. C’est des coûts de gestion.»
Pour l’instant, le gaz naturel est probablement la meilleure option pour réduire l’empreinte du transport par camion, croit le directeur des dossiers techniques et opérationnels de l’ACQ, Yves Maurais, au cours de la même entrevue. «C’est probablement le carburant qui offre le moins d'impact opérationnel par rapport au diesel et qui va offrir jusqu'à un certain point une réduction des gaz à effet de serre.»
«On parle de l'hydrogène, mais l'hydrogène, on n'est pas là à court et moyen terme. On parle d'une fenêtre d'au moins quatre à cinq ans avant qu'on voie des camions rouler opérationnellement», a ajouté M. Maurais.