Dans un témoignage percutant, Nadia Brière a présenté à la commission Gallant son rapport sur les lacunes qui existaient entre 2014 et 2024. Selon elle, la SAAQ n'a toujours pas corrigé le tir.
«Ça se poursuit. On en a encore beaucoup», a-t-elle déclaré sous serment. Rappelons que la société d'État vit une crise depuis le lancement catastrophique en février 2023 de sa plateforme SAAQclic.
Le virage numérique raté de la SAAQ devrait coûter aux contribuables au moins 1,1 milliard $, soit 500 millions $ de plus que prévu, selon les calculs du Vérificateur général du Québec.
L'audit de Mme Brière révèle entre autres que la SAAQ a mal défini ses besoins, mal géré ses appels d'offres, abusé des avenants, en plus d'avoir contourné certaines réglementations.
Par exemple, la vérificatrice interne note que dans des appels d'offres, la SAAQ exige plusieurs «profils», ce qui favorise systématiquement les «grosses firmes» et limite la concurrence, selon elle.
Lorsqu'elle aborde en avril 2025 un cas datant de novembre 2024 avec son supérieur, François Sauvageau, il lui dit qu'il n'est pas au courant et lui demande de ne pas l'inclure dans son rapport.
Ce rapport était prêt en février 2025, mais il n'a toujours pas été présenté au Comité actif-passif, risques et audit de la SAAQ. Il a été modifié à la demande de gestionnaires qui souhaitaient «amoindrir certains termes».
On demande notamment à Mme Brière de biffer les mots «amplifiés», «contourner» et «éluder».
La présentation du rapport, qui devait se faire en mars 2025, a été reportée à juin. Elle est maintenant prévue pour septembre, a déploré Mme Brière.
Le PDG Éric Ducharme durement critiqué
Nadia Brière a en outre corroboré les dires de son ex-collègue Marie-Line Lalonde selon lesquels le président-directeur général de la SAAQ, Éric Ducharme, a très peu d'intérêt pour la vérification interne.
Lundi, Mme Lalonde a déclaré avoir eu l'impression de s'être fait «cracher dessus» lors d'une réunion en janvier 2024 où M. Ducharme était resté les bras croisés, semblant dire: «Je n'en veux pas de votre travail.»
Il aurait déclaré lors de cette réunion rechercher un directeur à la vérification interne qui n'allait plus faire de «vagues», selon le témoignage de Mme Lalonde.
«On voulait lui dire qu'on était (...) ses yeux et ses oreilles, (...) l'équipe pour valider des informations et lui donner l'heure juste sur les situations», a expliqué Mme Brière, mardi.
«Il n'est pas ouvert, mais pas du tout. Il ne veut pas discuter de nos dossiers», s'est-elle remémorée.
Selon son souvenir, M. Ducharme lui aurait posé seulement deux questions: «Ça a l'air de quoi, la gestion contractuelle?» et «Depuis mon arrivée en poste, est-ce que ça continue?»
Mme Brière lui répond: «Oui, ça continue», mais «jamais il ne m'a demandé d'élaborer», s'étonne-t-elle.
Pour l'équipe de vérification interne, c'est la déception. Ceux qui espéraient un «changement de culture» se rendent à l'évidence que «les choses allaient continuer» comme avant, a-t-elle relaté.
Alors que ses collègues démissionnent les uns après les autres, elle décide de rester pour mener à terme le fameux audit 2014-2024 qu'ils avaient commencé.
«Pour la suite des choses, on verra», a-t-elle soufflé mardi, ses mains tremblotantes.
Depuis qu'elle collabore avec la commission, Mme Brière a raconté n'avoir plus aucun contact direct avec ses supérieurs immédiats.
Elle a prié le commissaire Denis Gallant de tenir compte des «humains», à qui on mettait «beaucoup de pression pour livrer» et qui ont vécu une expérience parfois «violente».
«Ce n'est pas vrai que tous les gens de notre organisation sont des incompétents et des menteurs, a-t-elle sangloté. Je me demande si nous serions ici si on nous avait écoutés.»
Requête de la SAAQ rejetée
En matinée, le commissaire Gallant a refusé la requête de l'avocat de la SAAQ, Sébastien Laprise, visant à devancer le témoignage d'Éric Ducharme.
Me Laprise avait plaidé lundi que les affirmations de Mme Lalonde pouvaient potentiellement miner la confiance du public dans ses institutions.
M. Ducharme sera entendu à la reprise des travaux, après la pause estivale, a tranché Me Gallant, rappelant qu'avec son statut de partie à la commission, la SAAQ avait le loisir de contre-interroger les témoins.
Il a dit comprendre que le témoignage de Mme Lalonde ait pu «froisser» la SAAQ.
«La possibilité qu'un témoignage ait un impact sur la réputation d'une personne, ou ébranle (...) la confiance dans une institution, ne peut être le barème à l'aune duquel la commission planifie ses audiences», a-t-il déclaré.
«Il est de la nature d'une commission d'enquête que les audiences publiques amènent les témoins à (...) dénoncer des situations auxquelles ils ont assisté.
«Si pour chaque dénonciation (...) la commission devait entendre sur-le-champ le point de vue opposé, des journées d'audiences seraient constamment bousculées par des personnes qui s'estiment lésées», a-t-il ajouté.