Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Les recherches montrent que la construction par le secteur privé pourrait avoir un effet négatif et rendre le logement plus cher.
Les promoteurs immobiliers et les élus ont déclaré que la crise est principalement due à une offre insuffisante et qu'une construction massive de logements entraînera une baisse des prix grâce à un processus de filtrage et à une chaîne de vacance.
La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) a également déclaré que 3,5 millions de nouveaux logements devront être construits d'ici 2030, dont 620 000 au Québec, afin de rétablir l'accessibilité dans le secteur du logement.
Cependant, Yaya Baumann et Hélène Bélanger, coauteurs du rapport de l'IRIS, affirment que la portée réelle d'une politique du logement fondée sur le filtrage est incertaine et qu'elle ne répond pas aux besoins des ménages à faible revenu. Selon les chercheurs, la crise du logement qui touche le Québec depuis au moins le début des années 2000 «ne montre aucun signe de ralentissement».
«Elle [la crise du logement] se manifeste notamment par des augmentations de loyer sans précédent, une détérioration des conditions de santé et de sécurité, une recrudescence des expulsions, une augmentation du nombre de sans-abri et une pénurie, non pas de logements en soi, mais de logements qui répondent aux besoins des ménages à faible et moyen revenu».
Selon eux, la solution consiste à construire le type de logement dont on a le plus besoin : des logements sociaux.
Cependant, ils affirment que les trois niveaux de gouvernement au Canada ne sont pas disposés à le faire.
Parmi les autres modèles de logement à but non lucratif recommandés par les chercheurs, on trouve les coopératives d'habitation.
«En ciblant presque exclusivement les ménages aisés, une politique du logement fondée sur le principe du filtrage ne peut, à court terme, répondre aux besoins des ménages les plus vulnérables aux aléas du marché immobilier privé», mentionnent les chercheurs.
«Nous devons construire, construire et encore construire, mais nous devons construire différemment», a dit Mme Bélanger.
Effet de « ruissellement »
Les chercheurs expliquent que la théorie du filtrage du logement a été développée dans les années 1950 et 1960, à partir du constat que les logements nouvellement construits ont tendance à perdre en qualité et en valeur au fil du temps, ce qui les rend plus accessibles aux ménages à faibles revenus que ceux qui les occupaient auparavant.
«Ce processus "naturel", qui est fondamentalement "incontrôlable" et qui aboutit en fin de compte à des logements inadéquats ou insalubres, ne peut être imposé pour répondre de manière adéquate aux besoins des ménages à revenus faibles ou modestes», selon les chercheurs.
Ils affirment que le modèle de filtrage s'apparente à la théorie économique du ruissellement, qui s'est avérée inefficace et qui accentue les inégalités.
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Les chercheurs soulignent que ce modèle est limité et simplifié, car il néglige souvent le phénomène potentiel de gentrification, qui peut exercer une pression sur les logements autrefois abordables.
Deux études menées aux États-Unis et au Danemark ont montré que les chaînes de vacance générées par la construction de logements destinés aux ménages aisés atteignent rarement les ménages à faible ou moyen revenu.
Au Canada, des études ont montré que le modèle de filtrage s'est inversé depuis les années 1980, car de nombreuses maisons ont pris de la valeur au fil du temps, en particulier dans les centres-villes.
Autres obstacles
Le modèle de filtrage part du principe que les ménages sont constamment à la recherche d'un meilleur logement et déménagent à mesure que leur famille s'agrandit et vieillit.
Or, au Québec, les familles sont moins nombreuses à être favorables à la cohabitation de plusieurs personnes.
Selon les chercheurs, cela soulève des questions quant aux logements qui deviennent vacants et à leur capacité à répondre aux besoins des ménages à faible et moyen revenu qui achètent leur première maison, en particulier s'ils ont une famille nombreuse.
Les chercheurs ont également noté que les acheteurs qui n'ont jamais loué et ceux qui possèdent plusieurs propriétés constituent des obstacles majeurs à l'accession à la propriété, en plus des chaînes de vacance.
Ils ont constaté qu'un cinquième des acheteurs canadiens d'une première maison n'ont jamais loué, mais ont plutôt vécu avec leur famille avant d'acheter leur maison, ce qui signifie qu'ils ne libèrent pas d'appartement lorsqu'ils déménagent.
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Bien que les données soient limitées au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, environ 15 % des propriétaires individuels étaient considérés comme propriétaires multiples en 2022.
Ces propriétaires détenaient respectivement 31 % et 29 % du parc immobilier de leur province.
Le rapport souligne que les locataires sont également confrontés à de faibles taux d'inoccupation et à une flambée des loyers.
Les données publiées par la SCHL en décembre corroborent les conclusions des chercheurs concernant les locataires : même si le taux d'inoccupation à Montréal a augmenté pour la première fois depuis des années, les loyers ont également augmenté.
Le facteur immigration
Le rapport soulève également des questions quant à l'idée selon laquelle la population aurait augmenté plus rapidement que le nombre de logements.
Entre 2001 et 2021, il y a eu 16 000 nouveaux logements de plus que de nouveaux ménages à Montréal.
Ce chiffre atteint 17 000 à Québec.
«Cependant, les politiciens, alimentés par le mécontentement populaire face aux défis posés par le marché du logement, ont exigé qu'Ottawa réduise radicalement ses objectifs d'immigration permanente, attribuant à tort (en tout ou en grande partie) la responsabilité de la crise du logement à l'immigration», note le rapport.
Au cours des deux dernières années, le Québec a construit un nombre record de nouveaux logements, selon la SCHL, mais leurs prix restent élevés.
«Le regain d'intérêt politique apparent pour le principe du filtrage [...] ne découle pas de la crise de l'offre et de l'accessibilité des logements pour les ménages à revenu faible ou modeste sur le marché locatif privé, mais plutôt du resserrement du marché immobilier pour les propriétaires occupants, tant en matière de construction neuve que de revente, qui entraîne une hausse des prix», indique le rapport.