Cela signifie par exemple qu'une femme trans ayant subi une vaginoplastie, qui aurait donc désormais un vagin, sera regroupée avec les détenues femmes. Si une femme trans n'a pas subi de chirurgie d'affirmation de genre qui lui permet de changer son sexe et qu'elle a donc toujours son sexe assigné à la naissance (pénis), cette personne sera détenue parmi les hommes.
«Je pense que de revenir à l'évaluation de la situation en fonction des organes génitaux de la personne, c'est archaïque. Ça va complètement à l'encontre de toutes les bonnes pratiques en matière d'inclusion et de santé trans qu'on voit à travers le monde», déplore en entrevue Pascal Vaillancourt, directeur général de l'organisme Interligne qui offre un service d'écoute pour la communauté LGBTQ+.
La directrice générale d'Aide aux trans du Québec, Victoria F. Legault, estime que le processus qui a mené à la décision a été «très opaque».
«On se demande d'où ça sort, lance-t-elle. On n'a pas eu connaissance que c'était un projet qui était sur la table au ministère de la Sécurité publique avant de voir cette nouvelle ce matin. Donc, on ne savait pas que c'était quelque chose qui était envisagé, puis ça amène vraiment la question à savoir qui s'est penché là-dessus, est-ce que c'est un comité interne, une table de concertation?»
Le ministre Bonnardel a fait valoir que cela était pour assurer la sécurité de toutes les personnes incarcérées et que des accommodements seraient possibles. Les détenus trans pourront par ailleurs continuer à s'identifier au genre de leur choix dans les établissements de détention.
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La ministre de la Famille, Suzanne Roy, a dit appuyer la décision de son collègue à la Sécurité publique. «Je pense que c'est une très bonne décision et ça répond à certains enjeux justement qui nous avaient été soulevés», a-t-elle déclaré en mêlée de presse à Québec.
Elle faisait écho au rapport du comité de sages sur l’identité de genre qui a été déposé le mois dernier et qui avait créé beaucoup de remous puisqu'aucune personne LGBTQ+ ne figurait sur le comité.
Questionnée à savoir pourquoi le gouvernement se prononçait si tôt sur l'un des enjeux alors qu'il disait vouloir prendre le temps de faire d'autres analyses, Mme Roy a affirmé que pour la question des prisons «on avait tout ce qu'il fallait pour prendre la décision».
Des risques de violence envers les trans
M. Vaillancourt explique qu'il y a différentes transitions et que tout le monde ne veut pas nécessairement passer par les chirurgies d'affirmation de genre par choix ou par difficulté d'accès puisque peu de médecins pratiquent ce type d'opération.
«Là, ce qu'on vient de dire, c'est que la personne qui a eu accès à la chirurgie, qui est peut-être plus privilégiée ou qui a eu moins peur d'aller voir les médecines, parce que c'est quand même des chirurgies importantes, cette personne a plus de chance d'être considérée comme une vraie personne trans que les autres. Je trouve que c'est excessivement problématique», dénonce M. Vaillancourt.
Il craint que le gouvernement minimise les risques de violence pour les trans. «C'est dangereux, souligne-t-il. Les personnes trans en prison vont avoir des grands risques d'agressions sexuelles, de violences, de meurtres, disons-le. Ce sont des personnes qui sont beaucoup marginalisées déjà dans la société et très vulnérables.»
Mme Legault abonde dans le même sens. Elle se dit indignée par le manque de considération pour la sécurité des personnes trans incarcérées. «On craint vraiment que ça puisse augmenter le niveau de violence qu'elles vont subir dans les centres de détention», indique-t-elle.
«Un peu comme le rapport des sages qui focussait beaucoup sur l'expérience des femmes trans précisément, je pense que cette décision a été prise vraiment autour des femmes trans avec un désir de protéger le reste des femmes, mais je pense qu'on a vraiment peu considéré la sécurité des femmes trans qui se retrouveraient dans des prisons pour hommes et qui seraient définitivement exposées à beaucoup plus de violences», pointe-t-elle.
«Dérive gouvernementale»
M. Vaillancourt ne comprend pas pourquoi on a tranché sur cette question «de façon aussi rigide». Il souhaite que les personnes trans soient évaluées au cas par cas.
«Pour nous, c'est une grande dérive gouvernementale ce qui se passe en ce moment avec la question des enjeux trans. [...] On nous avait dit qu'il n'y aurait pas de recul des droits avec le rapport des sages, mais pour moi, ce matin, ce qui se passe c'est un recul des droits. Le gouvernement a la responsabilité de protéger les personnes les plus vulnérables de la société et à l'heure actuelle, ce n'est pas ce qu'il fait avec cette politique», commente M. Vaillancourt.
Il nuance qu'il faut considérer les risques de sécurité pour tous, mais répète que cette évaluation devrait être faite au cas par cas. «Si on incarcère une personne dans une prison qui ne lui correspond pas, on a la responsabilité de la protéger, de respecter sa sécurité, mais aussi de maintenir sa dignité. Si la façon de faire, c'est de l'enfermer, de l'isoler pour pas qu'elle soit en danger, je ne suis pas sûr qu'on est en train de respecter sa dignité», soulève le directeur.
«Auparavant, les personnes transgenres pouvaient demander à être incarcérées dans l'établissement de détention de leur choix et pouvaient, pour des raisons de sécurité, être isolées de la population générale autant dans leur secteur d'hébergement que lors des programmes et services de réinsertion sociale», écrit le cabinet du ministre de la Sécurité publique dans un communiqué.
Une analyse de sécurité sera réalisée à l'admission pour déterminer le classement approprié. Tous les détenus sont soumis à ce type d'analyse à leur entrée dans une prison provinciale.
Les agents de services correctionnels auront des formations ainsi qu'un «guide des bonnes pratiques» avec des informations sur la diversité sexuelle et la diversité des genres et aux droits des personnes LGBTQ+.
M. Vaillancourt est favorable à la formation, mais il se demande qui la donnera aux agents. «On peut s'inquiéter, lâche-t-il. On vient d'avoir un comité des sages formé de trois personnes qui n'ont aucune expertise sur ces enjeux. Donc le gouvernement va donner ça à qui la formation? Pour moi, il y a une perte de crédibilité qui a eu lieu dans la dernière année.»
Mme Legault se demande aussi qui va se pencher sur le développement de cette formation. «Est-ce qu'on va faire appel à des groupes communautaires qui ont développé cette expertise? Est-ce qu'on va se baser sur des données probantes? C'est ça aussi qui est un peu inquiétant», partage-t-elle.
Le cabinet du ministre de la Sécurité publique a fait savoir qu'en date du 13 juin, les détenus s'identifiant comme personnes transgenres représentent 0,1 % de la population carcérale, soit six individus sur les 5400 personnes incarcérées.